Nous sommes installés à Caracas depuis deux mois. Nous avons eu le temps de prendre nos repères, commencer à travailler, et même à voyager un peu dans le pays. Il était donc temps de reprendre ce blog, resté trop longtemps en friche.
Je ne savais pas sur quel thème aborder ce premier post, puis il m’a sauté aux yeux : Chávez. Ou plutôt, comme le nomment respectueusement ses fidèles : el Comandante Hugo Rafael Chávez Frias, président de la République bolivarienne du Venezuela.
Pourquoi lui ? D’abord parce qu’il est en partie responsable de notre expatriation et de l’intérêt des journaux français pour notre travail, mais surtout parce qu’il nous est impossible de passer une seule journée au Venezuela sans parler de lui.
Chávez vous accueille d’abord, béret rouge sur la tête, à l’aéroport de Maquetia. De grandes affiches décorent le hall de l’aéroport pour vanter les résultats de ses douze ans au pouvoir : réduction de la mortalité infantile, alphabétisation, réduction de la pauvreté, augmentation de la production agricole. Dès la première discussion avec le premier chauffeur de taxi, Chávez remontre le bout de son nez. L’insécurité dans Caracas ? C’est la faute de Chávez ! Le prix de la course de taxi, des hôtels, du lait ? La faute de Chávez ! Les coupures d’électricité récurrentes ? Devinez…
Voici l’argumentaire de l’antichaviste. Le président socialiste aurait miné l’économie du pays en faisant fuir les investisseurs étrangers dissuadés par les menaces de nationalisation et d’expropriation et aurait volontairement fermé les yeux sur l’insécurité galopante, encourageant même les délinquants à s’en prendre à l’ « oligarchie bourgeoise » qui refuse de prendre part à la révolution.
Du côté des chavistes, au contraire, le « commandant » serait le premier président vénézuélien à avoir pris en compte les masses populaires, leur avoir donné de quoi vivre décemment, avoir permis à tous d’accéder à la santé et l’éducation gratuitement, bref aurait mis fin à des siècles d’inégalités en douze ans seulement.
Entre ces deux discours, il y a très peu de place pour la nuance, la critique et le compromis. Cette phrase de Che Guevara, lue dans un bureau de l’Institut national du territoire, résume bien la mentalité du Venezuela en ce moment : « Dans la révolution, on est noir ou blanc. Le gris est la couleur de la trahison ».
Haine
Le problème d’un pays en noir et blanc, c’est la haine entre les deux camps. Les uns se lamentent de vivre dans un régime « communiste castriste » tandis que les autres dénoncent ces « bourgeois apatrides ». Le dialogue est impossible, et l’élection présidentielle de 2012 s’annonce très tendue, voire violente.
Pourtant, aux yeux du visiteur étranger que je suis, les deux « camps » ne sont pas si différents. Ils partagent le même amour inconditionnel de leur pays, qui se transforme en douleur inconsolable pour ceux qui l’ont quitté, la même « alegria » ou joie de vivre, la même propension à dépenser son argent dans les centres commerciaux surdimensionnés. Alors comment expliquent-ils cette division ?
Pour les anti il s’agit d’une véritable résistance à la « dictature », « comme en Egypte », disent certains. Pour les pros il s’agit de défendre coûte que coûte la révolution sans cesse menacée par un coup d’Etat orchestré par l’ « Empire », comprenez les Etats-Unis.
Les journalistes ne dérogent pas à la règle, ils ont tous choisi leur camp. Du coup les personnes que nous interviewons ont du mal à comprendre que nous ne sommes là ni « pour défendre le processus bolivarien », ni « pour dénoncer Chávez à la communauté internationale », mais pour simplement raconter ce qui se passe au Venezuela, le beau comme le moche. Parfois le beau est socialiste, parfois non. Nos interlocuteurs du « parti » se sentent trahis si nous leur expliquons que nous allons aussi interviewer des membres de l’opposition, et vice-versa. « Vous ne voulez pas prendre parti ? Vous n’allez pas vous faire d’amis alors ! », nous a-t-on prévenus à maintes reprises. Prenons le risque…
Julie